Avis aux bons connaisseurs d'Aristote (je n'ouvre pas un nouveau sujet) : j'ai une petite difficulté pour la compréhension du lien entre
praxis et politique.
On sait qu'Aristote distingue en plusieurs endroits (
Eth. Nic. I,1 ; VI, 4-5,
Politique,I, et d'autres) les activités productives (
poiesis) et les activités pratiques (
praxis). La distinction classiquement faite est celle entre une activité qui a sa fin à l'extérieur d'elle-même (production d'un objet) et celle dont la fin est immanente à l'agent (qui vise donc l'
eu prattein). La politique est ainsi souvent invoquée comme exemple de la noblesse de la
praxis.
Mais en même temps, je tombe sur un passage qui me taraude, dans le livre X, où Aristote rabaisse l'activité politique au rang de domaine hétéronome face à la parfaite autarcie de la contemplation. Dans ce contexte, l'activité politique se retrouve nettement subordonnée : "nous ne nous adonnons à la vie active qu'en vue d'atteindre le loisir" ; "(ces activités) sont dirigées vers une fin distincte et ne sont pas désirables par elles-mêmes" et note de Tricot : "les activités pratiques visent des fins qui les dépassent et ne sont pas exercées pour elles-mêmes" ! (Tricot parle même de "
l'art politique" (ce qui semble contradictoire, la politique n'étant pas un "art"), mais apparemment c'est un effet de style puisque le texte grec n'emploie pas "
techne").
Donc : est-ce qu'une fois amenée devant l'idéal suprême de la vie théorétique, la
praxis doit perdre de sa dignité face à une activité si haute et si autarcique, au point qu'Aristote en vienne à la réduire à un domaine hétéronome ? Est-ce que la
praxis n'est qu'un moyen terme, plus digne que la production, mais déjà indigne au regard de la contemplation ?
J'aurais tendance à répondre que la
praxis est le
summum des activités spécifiquement humaines, mais que la contemplation la surpasse en tant qu'elle est déjà "trop élevée pour la condition humaine" (X, 7) et de nature divine. Ce qui finalement rejoindrait le jugement d'Arendt sur la dévalorisation par Platon et Aristote de la
vita activa au profit de la
vita contemplativa.
Si quelqu'un peut me confirmer tout ça c'est sympa !
Edit : bon, visiblement c'est un point très commenté chez les spécialistes, donc n'en jetez plus.